Devenir actionnaire d’une plantation de feuillus précieux : une alternative écologique durable?

A l’heure du réchauffement climatique et du marché du carbone, les entreprises cherchent à intégrer de plus en plus, dans leur activité, des notions de développement durable et de protection de l’environnement. Le concept dentreprise écologiste franchit une étape avec l’apparition de sociétés forestières proposant des investissements dits écologiques, suivant la logique de lécoinversion : l’achat ou la vente de parts de marché dans des activités bénéfiques pour l’environnement. Les écoinversions existent à l’heure actuelle dans la plantation forestière et devraient prochainement concerner l’énergie solaire, éolienne et les autres formes d’énergie durable (Cf. portail Ecoinversions).
Ce concept est en développement depuis quelques années, en particulier en Espagne où l’on dénombre pas moins de 5 sociétés qui proposent de devenir actionnaire de plantations forestières. Celles-ci ont pour objectif de produire du bois précieux de grande qualité issue dune sylviculture durable, tout en remplissant une mission de régénération environnementale.
Les arguments mis en avant dans ces initiatives sont à la fois d’ordre écologique, économique et social. Il s’agit :
– de placer de l’argent dans un épargne écologique et citoyenne, en s’assurant une bonne rentabilité basée sur l’augmentation constante du prix mondial du bois noble depuis plusieurs décennies.
-d’oeuvrer pour l’environnement en reboisant des zones agricoles laissées à l’abandon, et de lutter contre le réchauffement climatique en favorisant la séquestration du carbone par des plantations forestières,
-de développer une économie locale favorisant le maintien d’emplois en zone rurale,
-d’éviter la déforestation sauvage de forêts tropicales en privilégiant une ressource locale écologique et durable.
D’après Maderas Nobles S.A., au bout de 20 ans, chaque arbre planté selon leurs pratiques produirait 8 000 m3 d’oxygène (28 000 m3 selon Bosques Naturales SA et Bosques del futuro SA ), 10 000 kg de matière organique, utiliserait 400 000l d’eau et absorberait 25 000 m3 de CO2.
Toutefois, les calculs réalisés à partir des valeurs scientifiques admises (1m3 de bois = 0,8 à 1 tonne de CO2 fixé) présentent plutôt une consommation par arbre de l’ordre de 3 à 5 000 m3 de CO2 gaz et environ autant de O2 produit (Source : Mémento FCBA et INRA).
Le fonctionnement
Ces sociétés proposent aux particuliers comme aux entreprises dinvestir dans la production de bois noble en achetant des plants, souvent de noyers ou de cerisier mais parfois d’espèces tropicales, vendus comme un produit dépargne alternative, écologique et de forte rentabilité. Les arbres généralement issus des pépinières de ces mêmes sociétés coûtent entre 3300 et 3700 le lot de 10.
Le client paie la propriété et les soins de ses arbres sur les terrains de l’entreprise et celle-ci se charge de l’entretien, de l’abattage et de la vente du bois au bénéfice du titulaire, au bout de 16 à 25 ans selon les espèces. Environ 90% du prix de vente revient au propriétaire et 10% à la société. La rentabilité estimée pour le client est comprise entre 7 et 21 % par an, cumulés sur 20 ans. Elle est basée sur à une revalorisation élevée et constante des bois précieux. Le client peut à tout moment vendre sa part, créant ainsi un marché secondaire d’écoinversions.
Si lidée semble vertueuse, elle soulève toutefois de nombreuses interrogations en particulier en terme d’impact environnemental, de durabilité et de risque financier pour les investisseurs.
Quelles garanties environnementales et de durabilité ?
Sur le plan technique, les plantations proposées suivent en général des schémas de production intensive proche de l’arboriculture fruitière, avec irrigation, fertilisation, protection phytosanitaire, travail du sol, désherbage, taille et parfois cultures intercalaires. Ces pratiques, associant un nombre conséquent d’interventions et l’utilisation d’intrants garantis sans produits chimiques, sont plus proches de l’agriculture biologique que des plantations forestières classiques. Dans ce cas, quid de leur impact environnemental? Quel est le bénéfice écologique réel de ces plantations conduites selon un mode consommateur d’energie comparées à une plantation forestière classique?
En effet, en intégrant la construction des réserves d’eau, des installations d’irrigation, l’essence, la fréquence des interventions mécaniques et les dépenses dues aux activités commerciales, la question de l’impact environnemental et du respect de l’équilibre de carbone annoncé se pose, et mérite d’être étudiée avant de pouvoir recommander de telles plantations.
Outre la question du bénéfice écologique, il paraît nécessaire de rester vigilant quant à l’argumentaire promotionnel utilisé par certaines de ces sociétés.
Tout d’abord ces plantations contribueraient à augmenter la superficie forestière. Doit-on pourtant qualifier ces plantations de « forêt » ou plutôt de « verger »? En effet, l’écosystème, les activités et autres bénéfices associés à la forêt y sont limités.
D’autre part, le fait dans certains cas de ne pas travailler avec des espèces locales permet-il de parler de « contribution au maintien de la biodiversité »? Ces espèces étant peu adaptées à leur environnement, peut-on vraiment garantir leur maintien pendant 100 ans comme annoncé, dans un contexte de limitation des ressources en eau? Peut-on alors parler de gestion durable?
Enfin, la plantation de ces espèces contribue-t-elle réellement, comme annoncé, à la diminution d’importation de bois exotique ? Comment le vérifier?…
Ces nombreuses questions sont une invitation à apporter des arguments supplémentaires, fondés sur des données scientifiques et techniques, afin de mieux connaître et comprendre le bénéfice réel de ces initiatives.
Par ailleurs, les pratiques et les garanties présentées par ces sociétés semblent assez hétérogènes: certaines affichent des labels peu connus et une totale absence de partenariat technique quand d’autres possèdent la certification FSC et travaillent avec des instituts techniques forestiers. Par exemple, le label CO2zero garantissant que les entreprises compensent et réduisent leurs émissions de carbone, a été délivré à deux d’entre elles sous vérification technique de l’AIDIMA (Cf. CO2Zero). Aussi, il est important de ne pas faire d’amalgame entre ces différentes sociétés qui ne sont équivalentes ni en terme de garanties ni de méthodes.
Quelles garanties financières?
L’investissement dans la plantation d’arbres proposé par ces entreprises comprend des risques supplémentaires comparé à d’autres types d’écoinversions, du fait de la durée du retour sur investissement (20-25 ans) et des risques liés à la production et à l’évolution des prix. En l’absence de contrat de vente pré-établi, les perspectives économiques pour les investisseurs sont en effet totalement dépendantes de la réalité du marché du bois dans l’avenir.
La société Bosques Naturales a déjà fait l’objet il y a quelques années de discussions sur des questions financières en Espagne (Cf. articles de Bolsacinco; Lukor ; Eleconomista )
Quelques exemples de sociétés :
Société | Espèces proposées | Localisation des plantations | Certifications et garanties |
MADERAS NOBLES DE LA SIERRA DE SEGURA S.A (Albacete, ESPAGNE) Cf. Site internet |
Noyers, châtaignier | Espagne : Alcaraz (Albacete) et Vincios (Pontevedra) | -Certification Sohiscert (comme opérateur d’agriculture écologique). -En projet: certification FSC. |
BOSQUES NATURALES S.A (Madrid , ESPAGNE) Cf. Site internet Appartient au groupe Promociones Keops. |
Noyer, cerisier (poirier, frêne) | Espagne : Galice, Càceres, Toledo, Cuenca, Gerona. 1314 ha, 9000 clients | ?? (non renseigné) |
CORPORACION ECOLOGICA YBOSQUES TROPICALES S.A. =(Ecobosques) (Alicante, ESPAGNE) ecobosques.com , ecoforests.eu |
Teck, Chêne australien et Paradis (Tectona grandis, Gravillea robusta, Melia azedarach) | Costa rica et Argentine, sur zones déboisées (1700 ha gérés) | -3 sites certifiés FSC. -Suivi technique AIDIMA, INTA -Certification CO2zero -Audit externe par BDO Audiberia |
BOSQUES DEL FUTURO S.A (Valencia, ESPAGNE) Cf. Site internet |
Noyer principalement | Espagne : Sinarcas (Valencia) | -Certification CO2zero -En projet: certification FSC -Membre de AIDIMA, AITIM -Partenariat avec des organismes de recherche |
BIENES ECOFORESTALES S.A (Valencia, ESPAGNE) Cf. Site internet | Noyer principalement | Espagne : Cuenca | -En projet: certification FSC |
Développement des actions environnementales
Outre la gestion de plantations, certaines de ces entreprises ont souhaité aller plus loin dans leur action environnementale et sociale. C’est le cas de Maderas Nobles, à l’origine de la Fundacion Mas Arboles. Celle-ci a pour but de promouvoir la replantation d’arbres au bénéfice de l’environnement (édition d’ouvrages, organisation d’événements ex. 1ère rencontre internationale des amis des arbres, campagnes de communication, Cf. MasArboles). Elle est également à linitiative dun projet de replantation appelé ResponsARBOLidad, ayant pour objectif la plantation de 100 millions darbres en 4 ans dans le sud de la péninsule ibérique comme barrière naturelle contre le changement climatique (Cf. Responsarbolidad).
LOrganisation des Nations Unies a reconnu cette action en octobre 2007 et la intégrée dans leur campagne mondiale Plant for the Planet : Billion Tree, qui cherche à impliquer les organismes privés, publics ainsi que les particuliers dans la plantation et la protection de 1000 millions darbres pendant lannée 2007 (Cf. Billion tree campaign).
La fondation travaille également en partenariat avec des entreprises privées. Une action avec Volkswagen est en cours : pour chaque Polo Blue Motion immatriculée en Espagne, la firme plantera 17 arbres selon le modèle durable de la fondation afin de compenser les effets polluants créés par le véhicule en terme démissions de CO2.
En conclusion, la promotion de la plantation d’arbres reste fondamentalement une initiative intéressante. Cependant, celle-ci doit absolument être réalisée de manière raisonnée et présenter aux investisseurs comme à la société, de solides garanties environnementales, économiques et de durabilité fondées sur des bases scientifiques avant d’envisager le développement de ces activités. De telles garanties permettraient également d’éviter toute dérive vers une logique uniquement financière de la gestion de ces plantations, qui serait à l’encontre du concept même de développement durable. Aussi, réjouissons-nous de voir le monde de la finance et du marketing s’intéresser aux arbres, et espérons que les acteurs traditionnels de la filière sauront apporter des réponses techniques satisfaisantes par le biais d’opérateurs indépendants ou l’expertise de projets tels que DEFOR pour lever toutes les interrogations que suscitent ces opérateurs.