Depuis quelques années, la Commission Européenne a fait de l’intégration des parties prenantes, une composante essentielle de ses programmes de recherche et d’innovation. Ainsi, tout projet de recherche financé par l’Europe doit avoir une stratégie d’identification et d’implication d’acteurs extérieurs tels que des industriels, des autorités locales ou des utilisateurs finaux pour une meilleure prise en compte de la réalité du terrain et assurer la durabilité des résultats du projet. Il existe une grande diversité de méthode pour parvenir à cet engagement et l’IEFC avec son réseau multi-acteur a eu la chance de contribuer à une initiative originale et de grande envergure dans l’un de ces projets de recherche, CLIMB-FOREST « Robust solutions for sustainable forests ». 

Le projet Européen CLIMB-FOREST (H2020) a débuté fin 2022 avec pour ambition de produire une modélisation avancée des forêts européenne suivant différents scénarios de gestion forestière. Les chercheurs du projet mutualisent ainsi leurs expertises pour la modélisation de la croissance des forêts, de l’évolution des risques ou du stockage du carbone, ce à quoi il a été proposé d’intégrer des parties prenantes pour la définition des scénarios de gestion sylvicole. Cette démarche a été entreprise par les partenaires de 5 pays que sont, l’Université d’Alicante pour l’Espagne, NIBIO pour la Norvège, l’Université d’Agriculture de Cracovie en Pologne, CzechGlobe pour la République Tchèque et enfin l’IEFC pour la France. Elle a d’abord consisté à recruter, dans chaque pays, un représentant pour chacune des catégories de partie prenante suivante : industriel du bois, propriétaire forestier, décideur politique, association environnementale et enfin usager récréatif. Le panel ainsi créé d’une trentaine de personnes a été invité à participer à une tournée terrain de quelques jours dans chacun des 5 pays pour y confronter leurs visions et leurs attentes vis-à-vis de la gestion forestière. Les tournées se sont déroulées sur l’année 2023 comme suit :

MoisRégionThématiquesOrganisateur
Avril 2023Valence, EspagneGestion du risque incendie et de la reconstitution post-incendie dans des forêts de Pin d’Alep.Université d’Alicante
Mai 2023Oslo, NorvègeGestion de forêts d’épicéa face aux risques de sécheresse, de tempête, de neige ou d’attaque de ScolyteNIBIO
Juin 2023Cracovie, PologneGestion intensive et à forte densité de forêts de pin sylvestre face aux risques de sécheresse et d’épidémie de scolyteUniversité d’Agriculture de Cracovie
Juin 2023Brno, TchéquieGestion régulière et irrégulière de forêts de pin sylvestre et hêtraie face aux mêmes risques de sécheresse et d’épidémie de scolyteCzechGlobe
Octobre 2023Bordeaux, FranceGestion des monocultures de pin maritime et de peupleraies pour la production de boisIEFC

C’est donc fort de cette dynamique de groupe acquise peu à peu depuis avril que notre panel de parties prenante a été accueilli en France pour clôturer ce cycle de tournée forestière. L’IEFC, chargé du programme thématique, a essayé de mettre en valeur la diversité des modalités et objectifs de la gestion forestière dans le vaste territoire des Landes de Gascogne autour de quatre sites présentant un gradient croissant d’intervention sylvicole : la Réserve Naturelle de l’Etang de Cousseau géré par la SEPANSO pour en préserver les valeurs environnementale et récréative; la forêt dunaire gérée par l’ONF composant avec les enjeux de production, de protection et d’accueil du public ; une forêt de production privée dans le plateau landais gérée par la SFCDC et enfin de la peupleraie à rotation courte en vallée de Garonne avec le CNPF. Nous dressons dans les paragraphes suivant un rapide bilan des discussions dont l’intérêt réside dans la diversité des points de vue et le regard extérieur de la majorité des membres du groupe.

Le groupe des parties prenantes du projet CLIMB-FOREST en visite à la Réserve Naturelle de l’Etang de Cousseau, accompagné de son conservateur, François Sargos (SEPANSO) ©Benoît de Guerry

Les participants ont beaucoup apprécié la semaine de tournée grâce à la diversité des sites et des ambiances forestières visitées sur le territoire des Landes de Gascogne (étang, dune, océan, plateau landais et vallée de la Garonne). La présentation étayée du contexte historique est apparue comme essentielle à nos participants étrangers pour mieux appréhender la grande homogénéité du paysage, résultats de la politique d’assainissement des marais de 1857, et la relative bonne acceptabilité sociale, résultat d’une co-évolution entre la population et les différents usages de la forêt des Landes. Les grandes transformations d’un état initial, que ce soit des marais vers la forêt de pin ou de l’agriculture vers la peupleraie, ont amenés d’intéressants débats pour définir ce qui peut être considéré comme référentiel de biodiversité.

De manière générale les groupes des usagers récréatifs, des propriétaires forestiers, des décideurs politiques et des chercheurs ont adhérés aux modes de sylviculture présentés. La plupart de leurs suggestions à chaud comprenaient la réduction des unités de gestion pour restreindre la taille des coupes rases et une diversification à la marge des peuplements par l’introduction d’essences diverses. Le groupe des industriels du bois étrangers a non seulement adhéré au système en place, mais a également été très admiratif de la capacité de production de bois lors des différentes visites. Les thématiques de crédit carbone pour le financement des plantations ou celui des critères de certification PEFC ont également suscité un vif débat et intérêt. À l’inverse, seul le groupe des environnementalistes s’est montré très critique envers les modes de gestion présentés, leur préférant un retour vers des écosystèmes naturels dénué de gestion.

Pour la suite du projet, la diversité des recommandations de gestion servira à la construction de scénarios réalistes pour la modélisation des forêts européennes et de leur résilience pour continuer à fournir du bois, à stocker du carbone, à accueillir la biodiversité et autres services écosystémiques. La plus grosse partie de la contribution de l’IEFC au projet prend fin avec cette tournée, mais nous restons associés au travail de modélisation en cours et travaillerons à en diffuser les résultats d’ici quelques mois.

Benoît de Guerry, IEFC