Question 1 : Quels sont, selon vous, les principaux bénéfices des forêts plantées pour répondre aux défis environnementaux actuels, comme le changement climatique et la perte de biodiversité ?
Nous sommes confrontés à une urgence climatique résultant de nombreuses décennies d’utilisation de combustibles fossiles et il est urgent d’utiliser des matériaux renouvelables. La demande pour ces produits devrait augmenter et, en l’absence de plantations, les forêts naturelles devraient répondre à cette demande croissante. Les forêts européennes entrent dans la catégorie principale de Land Use Land Use Change and Forestry (LULUCF) et sont souvent appréciées pour leur capacité à compenser les secteurs « difficiles à décarboner » tels que l’agriculture, les processus industriels ou l’énergie.
Cependant, il est important de souligner que l’impact des plantations dépasse de loin leur capacité de puits de carbone. Les plantations peuvent contribuer à la fourniture de services écosystémiques réglementaires et sociaux, même lorsqu’elles sont axées sur la fourniture de bois. En outre, les plantations sont l’outil qui permet de remettre en production des terres dégradées et de fournir des services écosystémiques, tout en contribuant à éviter l’importation de bois en Europe et à réduire la déforestation. Les forêts plantées, lorsqu’elles sont établies au bon endroit et rigoureusement gérées, présentent un fort potentiel d’atténuation du changement climatique. Elles permettent en effet de stocker du carbone, de maintenir ou d’augmenter la biodiversité et de favoriser la résilience face à divers risques (extrêmes climatiques, menaces biotiques, incendies). Elles contribuent également à une croissance économique durable. Les produits en bois contribuent à une économie plus verte et plus circulaire. La chaîne de valeur forestière étendue soutient des millions d’emplois.
Question 2 : En Europe, quelles sont les bonnes pratiques pour assurer une gestion durable des forêts plantées ?
La gestion durable des forêts plantées devrait commencer par une bonne intégration avec les parties prenantes, en garantissant une bonne passerelle entre la science et la pratique grâce à une bonne coordination entre la recherche, les orientations et la réglementation. Dans les pays de l’UE où la part de la propriété privée est élevée, l’un des plus grands défis consiste à travailler avec les petits propriétaires forestiers, en particulier dans les zones où la sylviculture n’est pas rentable. Aider les gestionnaires à choisir les bonnes espèces/provenances (suivre le projet Reinfforce), au bon endroit et aider à distribuer les plantations en mosaïque à travers le paysage sont les bases pour respecter les 3 piliers de la durabilité.
Il est important que les différentes parties prenantes puissent acquérir une compréhension suffisante des pratiques de plantation forestière afin que ces forêts puissent faire face au changement climatique et limiter les menaces des risques (a)biotiques (liés aux maladies, aux insectes et aux conditions climatiques) afin d’atteindre un équilibre entre les biens et les services écosystémiques. Les plantations sont connues pour leur gestion intensive, mais l’application du bon niveau d’intensification, qui garantit la production sans nuire à l’environnement, est essentielle à la fourniture durable des biens et services requis par la société.
Jusqu’à présent, les stocks de végétaux dans l’UE continuent de croître, mais il est essentiel de veiller à ce que la récolte soit inférieure à la croissance annuelle afin de garantir la disponibilité des ressources, le maintien de la biodiversité et, à long terme, de nous rapprocher de la neutralité climatique. La gestion durable doit être soutenue par des mesures politiques bien ciblées, en gardant à l’esprit qu’il faut éviter les solutions « uniques », car « les forêts de liège portugaises ne peuvent être comparées aux forêts de conifères de Finlande ».
Question 3 : Quelles idées reçues concernant les forêts plantées souhaiteriez-vous clarifier ?
Les forêts plantées sont généralement des monocultures équiennes (Forêts composées uniquement de la même essence d’arbre, du même âge) résultant d’une décision humaine de mettre des plants ou des graines en terre faisant l’objet d’une gestion intensive. Dans le passé, ces forêts ont parfois été établies sur la base d’une mauvaise sélection des espèces d’arbres et d’une sylviculture inappropriée qui ne tenait pas compte des aspects considérés comme essentiels par les communautés locales. Cela a pu contribuer à la perception négative et au discrédit des plantations forestières. Les plantations commerciales traditionnelles peuvent être fastidieuses, mais leur structure régulière et répétée facilite la gestion et les opérations d’enlèvement du bois, en particulier, la coupe définitive qui consiste à enlever tous les arbres avant de replanter étant l’approche la plus courante, même si elle n’est pas toujours comprise par l’opinion publique.
Cependant, les forêts plantées, si elles sont plantées et gérées en tenant compte des impacts environnementaux, la prise en compte des compromis entre les différents services écosystémiques et des opinions des parties prenantes, ne devraient pas être un problème, mais faire partie de la solution. Par exemple, dans les programmes de restauration des écosystèmes, il est souvent fait recours aux forêts plantées à des fins de protection ou de restauration, qui peuvent même être gérées de manière à atteindre une maturité ressemblant à celle d’une forêt naturellement régénérée. Même les plantations forestières gérées de manière intensive ont un impact moindre sur l’utilisation des terres que les systèmes agricoles car l’usage des pesticides y est très limité. Néanmoins, il est vrai que les plantations commerciales présentent une capacité plus limitée à soutenir la biodiversité par rapport aux forêts naturelles.
Au cours des dernières décennies, la recherche semble indiquer que la complexité, tant en termes de diversité des espèces d’arbres que d’hétérogénéité structurelle, peut avoir le potentiel d’améliorer la résilience des forêts face aux changements globaux. Cependant, de nombreuses questions restent en suspens, notamment celle de savoir si la diversité doit être créée au moment de la plantation ou favorisée par la gestion, ou si elle doit être favorisée au niveau de l’arbre, du paysage ou des deux. Le groupe de travail de l’IUFRO étudiera les conséquences de l’ajout de complexité aux forêts de plantation et les impacts associés sur les chaînes d’approvisionnement en bois, en explorant les compromis entre la résilience et la production de bois.
Question 4 : Comment envisagez-vous l’avenir des forêts cultivées en Europe dans les décennies à venir, face aux attentes sociétales, aux besoins industriels et à l’impact croissant du changement climatique ?
Je pense que la question centrale sera de savoir comment répondre aux demandes différentes et croissantes des forêts dans un contexte d’incertitude future. Les forêts sont gérées en fonction de différents objectifs, souvent simultanés, ce qui conduit inévitablement à des compromis. Dans le cadre de la bioéconomie, la demande de bois, de papier, de bois de chauffage et d’autres biomatériaux devrait augmenter, mais il en va de même pour les objectifs en matière de biodiversité et les attentes concernant les fonctions écologiques des forêts.
Il ne sera possible de parvenir à une bioéconomie circulaire et durable que si la superficie des forêts plantées continue d’augmenter et si les forêts plantées existantes, ainsi que les futures forêts à planter, sont planifiées et gérées de manière à faire face au changement climatique et à minimiser l’impact des différents risques (ravageurs, agents pathogènes, incendies, inondations et sécheresses) afin de parvenir à un équilibre des services écosystémiques à l’échelle de la planète.
Un certain nombre d’actions concrètes seront nécessaires :
- La protection efficace des forêts primaires et anciennes, essentielle pour atteindre les objectifs de l’Europe en matière de climat et de biodiversité ;
- Boisement et restauration des zones déboisées et dégradées, soit avec des objectifs de production, de conservation et de protection ;
- La mise en œuvre de plantations diversifiant les espèces au sein de mosaïques paysagères afin d’atténuer l’augmentation des risques (a)biotiques ;
- Concevoir des mosaïques d’usage des sols intégrant des plantations forestières pour améliorer l’intégrité et la résilience écologiques ;
- Mettre en place des politiques visant à développer des systèmes de certification et de paiement pour les services écosystémiques (Biodiversité, Carbone, Protection des sols ..) dans les forêts primaires et anciennes ainsi que dans les plantations ;
- Explorer le développement de mécanismes de financement partagé pour cartographier et protéger les forêts primaires et anciennes pour ne pas rajeunir ces points chauds de biodiversité lors de plantations nouvelles;
- Soutenir la recherche et les mesures politiques pour la mise en place d’une gestion durable ;
Susana Barreiro, Présidente de l’IEFC